Article issu de sousnospieds.be, un site de vulgarisation dédié aux sols.

D'où vient votre azote ?

Table des matières

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Introduction : vous n’êtes qu’un tas de six atomes (ou presque)

Dans “La longue descente des matières organiques mortes”, nous avons découvert que le monde vivant est principalement constitué de six éléments chimiques : le carbone \( \ce{C} \), l’hydrogène \( \ce{H} \), l’oxygène \( \ce{O} \), l’azote \( \ce{N} \), le phosphore \( \ce{P} \) et le soufre \( \ce{S} \). Mis bout-à-bout, cela donnait “\( \ce{CHONPS} \)”, ce qui ne veut toujours rien dire mais est assez facile à retenir. Vous ne dérogez évidemment pas à cette règle : ces six éléments représentent plus de 99 % des atomes de votre corps et 96,5 % de votre masse. Ainsi, les 70 kg de votre corps – c’est à peu près la moyenne pour un adulte Européen – contiennent 45 kg d’oxygène, 13 kg de carbone, 7 kg d’hydrogène, 1,8 kg d’azote, 0,4 kg de phosphore et 0,2 kg de soufre1. Personnellement, me rappeler que je ne suis fondamentalement qu’un immense tas constitué de six atomes – et de bien d’autres en plus petites quantités – me laisse à chaque fois pensif.

N comme… azote ?!

Si les symboles chimiques des cinq autres éléments constituant le monde vivant se comprennent facilement, c’est moins clair pour l’azote et son incongru \( \ce{N} \). Celui-ci vient en fait de “nitrogène”, une ancienne désignation française créée par un chimiste qui s’opposait à l’étymologie du terme “azote”. Azote se dit d’ailleurs nitrogen en anglais, nitrogeno en italien et nitrógeno en espagnol2.

En voilà une superbe anecdote à raconter à votre prochain repas de famille* !

* Succès 100 % non-garanti. Ma responsabilité ne peut en aucun cas être engagée en cas de désintérêt total de vos proches pour cette anecdote. Ne pas utiliser lors d'un premier rendez-vous.

Mais d’où viennent ces six éléments qui constituent l’essentiel de nos corps et du monde vivant en général ? Vous connaissez l’adage : “rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme”. Il a donc bien fallu aller chercher ces éléments quelque part ! Pour les animaux terrestres que nous sommes, c’est facile : nous mangeons d’autres animaux ou des végétaux, et nous buvons de l’eau. Mais cela ne fait que reporter la question un étage plus bas dans la pyramide : comment ces êtres vivants que nous mangeons se sont-ils procurés ces éléments ? Si on continue ce petit jeu là, on finit toujours par tomber sur les végétaux, même lorsque vous mangez un steak ou du fromage. (On tombera sur les algues si vous mangez du poisson, ce qui revient à peu près à la même chose.)

L’humain est au sommet de cette pyramide3. Pour retrouver l’origine de nos six éléments, il faut donc aller voir dans les étages du dessous, jusqu’à ce que l’on tombe sur… les végétaux !

La question devient alors : comment les végétaux acquièrent-ils ces éléments ? Pour le carbone \( \ce{C} \), nous avons déjà vu que cela se fait via la photosynthèse, qui transforme le carbone présent dans l’atmosphère sous forme de \( \ce{CO2} \) en sucre comme le glucose. Pour celles et ceux qui aiment les équations chimiques, cela donne

\[ \ce{6\color{red}{C}O2} + \ce{6H2O} + \mathrm{Énergie} \mathrel{\mathop{\longrightarrow}^{\mathrm{photosynthèse}}_{}} \underbrace{\ce{\color{red}{C}_6H12O6}}_\text{glucose} + \ce{6O2}. \]

L’oxygène \( \ce{O} \) du glucose vient aussi du \( \ce{C\color{red}{O}_2} \), tandis que l’hydrogène \( \ce{H} \) vient de l’eau, \( \ce{\color{red}{H}_2O} \).

À la base de la pyramide, les végétaux ont un super-pouvoir : la photosynthèse. Ils sont capables d’aller chercher leur propre carbone \( \ce{C} \) directement dans l’atmosphère, où celui-ci est disponible sous forme de \( \ce{CO2} \). C’est aussi dans le \( \ce{CO2} \) qu’ils trouvent leur oxygène \( \ce{O} \), tandis que l’hydrogène \( \ce{H} \) vient de l’eau, \( \ce{H2O} \).

Il reste alors à expliquer où les végétaux trouvent l’azote \( \ce{N} \), le phosphore \( \ce{P} \) et le soufre \( \ce{S} \). Les plus assidu·es d’entre vous se rappelleront que la décomposition des matières organiques mortes des sols libère de l’ammonium \( \ce{\color{red}{N}H4+} \), du phosphate \( \ce{\color{red}{P}O4^{3-}} \) et du sulfate \( \ce{\color{red}{S}O4^{2-}} \). Les végétaux peuvent donc directement puiser ces nutriments dans les sols !

La décomposition des matières organiques mortes libère dans les sols de nombreux nutriments, dont l’ammonium \( \ce{NH4+} \), le phosphate \( \ce{PO4^{3-}} \) et le sulfate \( \ce{SO4^{2-}} \). Les plantes n’ont plus qu’à se servir !

Le mystère est-il pour autant résolu ? Peut-on se contenter de dire que l’azote, le phosphore et le soufre que l’on trouve dans le monde vivant proviennent de la décomposition des matières organiques mortes dans les sols ? Eh bien… non, pas vraiment. Car cela soulève la question suivante : comment azote, phosphore et soufre se sont-ils retrouvés dans les matières organiques mortes des sols ? Celles-ci sont elles-mêmes constituées des cadavres et sécrétions d’organismes vivants. Le serpent semble donc se mordre la queue !

Les matières organiques mortes des sols ont pour origine les cadavres et sécrétions de chaque étage de la pyramide. On ne peut donc pas conclure que l’azote, le phosphore et le soufre présents dans la pyramide trouvent leur origine dans la décomposition des matières organiques mortes, car celles-ci sont elles-mêmes issues de la pyramide ! Ce serait un raisonnement un peu circulaire.

Ce dernier schéma met par contre en évidence le recyclage des nutriments qui a lieu dans les sols, déjà mentionné dans l’article sur la décomposition des matières organiques mortes. Mais pour qu’il y ait recyclage, il faut d’abord qu’il y ait quelque chose à recycler ! On retombe donc sur la question initiale : comment le monde vivant a-t-il acquis ces éléments avant de mourir et de les voir recyclés dans les sols via la décomposition ?

À ce stade, vous êtes peut-être tenté·e de me dire que ces éléments viennent alors des engrais, qu’ils soient organiques (comme le fumier) ou minéraux. C’est juste aussi, mais à nouveau : d’où vient l’azote, le phosphore et le soufre que l’on trouve dans ces engrais ? Le fumier vient directement du monde vivant, on retourne donc une fois de plus à la case départ. Quant aux engrais minéraux, et puisque “rien ne se crée”, les éléments qu’ils contiennent viennent aussi forcément de quelque part. (Et, par ailleurs, cet argument des engrais ne tiendrait pas pour les écosystèmes naturels !)

Dans cet article, nous éluciderons ce mystère en nous concentrant en particulier sur l’origine d’un élément : l’azote \( \ce{N} \). Après cette longue introduction, voici les objectifs du jour.

Objectifs

  1. Comprendre que vous – et le monde vivant en général – ne pouvez pas vous passer d’azote !
  2. Découvrir une partie du cycle de l’azote en remontant la piste des quelques 1,8 kg d’azote que l’on trouve dans nos corps.
  3. À la fin de l’article, se rendre compte avec stupeur qu’il manque quelque chose d’important au cycle de l’azote que nous aurons construit… (Quel suspens, hein ?)

Parenthèse de biologie : en quoi l’azote est-il essentiel pour le vivant ?

Avant de remonter la piste de l’azote, je vous propose une petite parenthèse de biologie afin de se rendre compte de l’importance de l’azote pour vous, et pour la vie en général. L’occasion d’apprendre à connaître une partie de vos 1,8 kg d’azote !

Protéines et acides nucléiques

D’abord, l’azote est un des éléments constitutifs des acides aminés. Vous n’avez jamais vu d’acides aminés ? En voilà un. (Bon, c’est schématique. L’idée est que vous voyiez qu’il y a une boule bleue représentant l’azote dedans.)

= carbone \( \ce{C} \), = hydrogène \( \ce{H} \), = oxygène \( \ce{O} \), = azote \( \ce{N} \) et = soufre \( \ce{S} \)
Une représentation schématique d'un acide aminé particulier, que l'on appelle "méthionine". On y retrouve 5 des 6 éléments du fameux \( \ce{CHONPS} \), dont l'azote \( \ce{N} \) représenté ici en bleu. Seul le phosphore \( \ce{P} \) manque à l'appel. Les acides aminés n'en contiennent en effet jamais.

Crédit : Jynto, CC0, via Wikimedia Commons

Mais à quoi servent les acides aminés ? Eh bien à faire des protéines, c’est-à-dire des longues chaînes de ces acides aminés à la queue leu-leu4. Or, figurez-vous que les protéines ne servent pas qu’à remplir les gourdes en plastique des membres de Basic Fit en quête de masse musculaire. Non. Les protéines sont omniprésentes dans les organismes vivants et assurent de très nombreuses fonctions. Les anticorps ? Des protéines spécialisées dans la détection et destruction d’agents pathogènes. L’hémoglobine ? Une protéine chargée du transport de l’oxygène dans l’organisme. La kératine ? Une famille de protéines impliquées dans la constitution des cheveux et des ongles5. Les enzymes rencontrées dans “La longue descente des matières organiques mortes” et impliquées dans la décomposition ? Encore. Des. Protéines. Bref, la liste est encore longue ! Ce qu’il faut retenir, c’est que les protéines sont partout et sont impliquées dans pratiquement tous les processus biologiques. En moyenne, chacune de vos cellules contient plusieurs milliards de protéines6, c’est dire leur omniprésence !

Plus brièvement cette fois – mais non moins important –, on trouve aussi de l’azote dans ce que l’on appelle les acides nucléiques, une famille de molécules dans laquelle on retrouve deux acronymes très célèbres : l’ADN et l’ARN.

En ultra bref

Il y a de l’azote dans les deux familles de molécules les plus importantes pour le monde vivant7 : protéines et acides nucléiques (ADN et ARN).

Chlorophylle

Terminons par un exemple propre aux végétaux : la chlorophylle. Comme vous le savez certainement, la chlorophylle est responsable de la couleur verte des feuilles. Et devinez quoi ? Elle contient elle aussi de l’azote ! Comme j’aime bien les représentations schématiques, je vous mets celle de la chlorophylle aussi.

= carbone \( \ce{C} \), = hydrogène \( \ce{H} \), = oxygène \( \ce{O} \), = azote \( \ce{N} \) et = magnésium \( \ce{Mg} \)
Une représentation schématique de la chlorophylle. On y retrouve cette fois 4 des 6 éléments du fameux \( \ce{CHONPS} \), dont 4 atomes d'azote, toujours représentés en bleu. On y voit aussi un petit nouveau, en vert : le magnésium \( \ce{Mg} \). C'est l'occasion de rappeler que si six éléments dominent, d'autres sont aussi essentiels au monde vivant : le calcium, le potassium, le sodium, le chlore, le magnésium, le fer, le zinc, l'iode, etc.

Crédit : Benjah-bmm27, Domaine publique, via Wikimedia Commons

Une plante bien fournie en azote aura donc des feuilles d’un beau vert foncé, tandis qu’un manque d’azote se traduira par un feuillage vert pâle voire jaunâtre. Vous avez peut-être déjà pu en faire la désagréable expérience dans votre potager ! Si pas, quelqu’un a fait l’expérience pour vous avec du maïs, ci-dessous.

À gauche, le maïs est vigoureux et arbore un feuillage d’un beau vert foncé. Il semble avoir suffisamment d’azote à sa disposition ! À droite, les pieds de maïs sont un peu chétifs et bien pâles… Nous reviendrons plus loin dans l’article sur ce qui différencie ces deux parcelles pourtant côté à côte.

Crédit : Alandmanson, CC BY 4.0, via Wikimedia Commons

L’importance de l’azote pour le vivant étant établie, clôturons cette parenthèse et repartons à la recherche de l’origine de notre azote !

De quelle “sphère” vient l’azote ?

Pour remonter la piste de nos quelques 1,8 kg d’azote, ressortons ce sobre schéma utilisé dans le premier article pour définir les sols comme un lieu d’échanges d’énergie et de matière entre le monde des roches (la lithosphère), de l’air (l’atmosphère), de l’eau (l’hydrosphère) et du vivant (la biosphère).

Les sols sont au carrefour du monde des roches (la lithosphère), de l’air (l’atmosphère), de l’eau (l’hydrosphère) et du vivant (la biosphère).

Résumons ce que l’on sait. Premièrement, on sait qu’il y a de l’azote dans le monde vivant (la biosphère). En ce qui nous concerne, nous avons remonté la piste jusqu’aux végétaux, qui sont à la base de la pyramide décrite plus haut. On sait aussi que ceux-ci trouvent leur azote dans les sols, via la décomposition des matières organiques mortes qui en libère sous forme d’ammonium \( \ce{NH4+} \). Mais comme les matières organiques mortes des sols sont elles-mêmes constituées de résidus et sécrétions de la biosphère, on tourne un peu en rond.

Pour avancer dans notre enquête sur la véritable origine de notre azote, passons en revue les trois autres “sphères” dans un ordre tout à fait arbitraire mais qui m’arrange bien.

L’hydrosphère ?

Passons d’abord rapidement sur l’hydrosphère : océans, fleuves, lacs, nappes phréatiques, etc. Spoiler : l’hydrosphère contient aussi de l’azote, mais là n’est pas l’origine primaire de notre azote, ni de celui de la biosphère en général. Les processus qui expliquent la présence d’azote dans l’hydrosphère sont mêmes analogues à ceux que nous nous apprêtons à découvrir. On pourrait d’ailleurs complètement ré-écrire cet article pour répondre à la question “D’où vient l’azote des poissons ?” et arriver au moins en partie aux mêmes réponses. Laissons donc cette question à quelqu’un qui aurait envie de créer le site sousnosbateaux.be, et concentrons-nous ici sur les écosystèmes terrestres.

La lithosphère ?

Se pourrait-il alors que l’azote que l’on trouve dans la biosphère provienne du monde des roches (la lithosphère) ? Posons la question à quelqu’un que nous avons déjà rencontré sur ce site. (Il était un peu bougon à l’époque, espérons qu’il aille mieux…)

Salut, vous vous rappelez de moi ? Je suis le bloc de granite en cours d’altération du premier article. Comme l’altération des roches est un processus très lent, je n’ai pas vraiment changé depuis. Bref. Si je suis de retour, c’est pour vous dire que mon altération (ou celle d’autres types de roches) libère de nombreux éléments : fer, calcium, magnésium, sodium, potassium, phosphore, etc. Mais, sauf dans certains cas particuliers, pas d’azote !

Crédit : Velella, Domaine publique, via Wikimedia Commons

Zut, encore raté. Lâchez immédiatement ce caillou que vous vous apprêtiez à mettre en bouche ; il ne vous apportera pas d’azote.

L’atmosphère ?

Il ne reste alors qu’une seule possibilité : l’atmosphère. Celle-ci contient-elle de l’azote ? Oh que oui. Depuis le début de votre lecture de cet article, vous avez inspiré et expiré une cinquantaine de litres8 d’un gaz que l’on nomme diazote, où \( \ce{N2} \). Inutile d’appeler le centre antipoisons, c’est tout à fait normal. Le diazote représente en effet 78 % du volume de l’atmosphère, bien au-delà des 21 % occupés par le dioxygène \( \ce{O2} \). Cela correspond tout de même à 75 000 tonnes d’azote au-dessus de chaque hectare de la surface terrestre9 !

C’est beaucoup 75 000 tonnes d’azote au-dessus de chaque hectare ?

Oui. À titre de comparaison, un hectare de céréales en Wallonie reçoit entre 160 et 200 kg d’azote sous forme d’engrais1011. C’est environ 400 000 fois moins d’azote que ce qu’il y a dans l’air au-dessus de ce même hectare !

Il y a néanmoins un problème. Ce problème, c’est le petit “2” qui se cache dans \( \ce{N_\color{red}{2}} \). Ce petit “2” signifie que le diazote – comme son nom l’indique par ailleurs – est constitué de deux atomes d’azote liés entre eux. Et même triplement liés. En notation de chimiste, cette triple liaison est représentée par 3 barres entre les deux atomes d’azote, comme ceci : \( \ce{N}\equiv\ce{N} \). Cette triple liaison rend le diazote chimiquement très stable : il n’a aucune envie de réagir avec qui que ce soit et de se lier avec d’autres éléments chimiques. Et pour cause, la triple liaison rend ces deux atomes d’azote très difficile à séparer. Autrement dit, il faut déployer une énergie considérable pour y parvenir.

Les deux atomes d’azote du diazote forment un couple très solide. #CoupleGoals

Or, pour fabriquer protéines et acides nucléiques (ADN ou ARN), le monde vivant a besoin de formes d’azote dit “réactif”, dans lesquelles l’azote \( \ce{N} \) est lié avec l’hydrogène \( \ce{H} \) ou l’oxygène \( \ce{O} \). Comme dans l’ammonium \( \ce{NH4+} \), dont on a déjà parlé, ou dans le nitrate \( \ce{NO3-} \). Malheureusement, aucun étage de la pyramide décrite dans l’introduction – pas même les végétaux situés à la base – n’est capable de briser le solide couple formé par les deux atomes d’azote du diazote… Ah, zut.

Et pourtant, l’atmosphère est bien le réservoir dans lequel l’azote du monde vivant trouve son origine. Chacun des 77 000 000 000 000 000 000 000 000 d’atomes d’azote se trouvant dans votre corps12 a un jour ou l’autre été dans l’atmosphère sous forme de diazote \( \ce{N2} \).

L’enquête avance, mais il reste à comprendre comment cet azote a bien pu passer de sa forme stable dans l’atmosphère à sa forme “réactive” assimilable par la biosphère…

Qui peut briser le couple du diazote ?

Il existe un phénomène physique naturel assez puissant pour séparer les deux atomes d’azote du diazote : la foudre. L’immense quantité d’énergie dégagée par les éclairs est capable de déstabiliser le solide couple du diazote. Les deux atomes d’azote séparés se lient alors avec un ou plusieurs atomes d’oxygène traînant dans les parages et forment des oxydes d’azote, \( \ce{NO} \) ou \( \ce{NO2} \)13. Ces oxydes d’azote se transformeront par la suite en d’autres substances et se déposeront à la surface terrestre, avec ou sans l’aide des précipitations (pluie ou neige)14. Un dicton dit d’ailleurs “neige de février, vaut du fumier”15. Il convient toutefois de nuancer : les quantités d’azote déposées par la neige sont en réalité bien inférieures à celles d’un apport de fumier typique.

Bref, en une phrase, retenez que les éclairs sont capables de transformer le diazote atmosphérique en une forme d’azote assimilable par le monde vivant.

Un peu de vocabulaire

Quand le diazote atmosphérique \( \ce{N2} \) est transformé en une forme où les deux atomes d’azote sont séparés l’un de l’autre, on parle de fixation de l’azote. Dans le cas de la foudre, on parlerait plus précisément de fixation abiotique de l’azote, car celle-ci ne dépend pas des êtres vivants.

Lors des premiers temps de la vie sur Terre – il y a environ 3,5 milliards d’années – le monde vivant devait se contenter de la fixation abiotique de l’azote comme seule source d’azote assimilable. Mais la biosphère alors en pleine expansion en voulait plus. Le département “recherche et innovation” de la vie s’est alors penché sur ce problème du manque d’azote assimilable16. Sa stratégie ? Comme d’habitude : des mutations aléatoires, et la sélection naturelle. Et il y a 3,2 milliards d’années17, une employée du département inventait une enzyme – c’est-à-dire une protéine spécialisée dans la facilitation de réactions chimiques – capable de convertir le diazote atmosphérique \( \ce{N2} \) en ammoniac \( \ce{NH3} \) : la nitrogénase. La fixation biologique de l’azote était née. L’astucieuse employée à l’origine de cette innovation était une archée. Pour faire simple, une archée, ça a la couleur d’une bactérie, ça ressemble à une bactérie, ça a l’odeur d’une bactérie, mais ce n’est pas une bactérie. Mais peu importe ici. Par la suite, les archées ont partagé leur innovation avec de véritables bactéries18. Aujourd’hui encore, cette capacité de fixation biologique de l’azote ne reste la prérogative que de quelques espèces d’archées et de bactéries. Celles-ci vivent dans les océans et – plus important en ce qui concerne notre quête de l’origine de l’azote dans les écosystèmes terrestres – dans les sols. (Et en passant, voilà une partie de la réponse à l’origine de l’azote dans l’hydrosphère : la fixation biologique dans les océans !)

3,2 milliards d’années plus tard – de nos jours donc –, la fixation biologique de l’azote dans les écosystèmes terrestres naturels est estimée à 58 millions de tonnes d’azote \( \ce{N} \) chaque année. Comme c’est très difficile à estimer, l’incertitude est grande et la gamme de valeurs possibles s’étend de 40 à 100 millions de tonnes19. Une belle fourchette donc ! Ces ordres de grandeur sont néanmoins sans commune mesure avec la fixation abiotique d’azote des éclairs, estimée elle – toujours avec une belle incertitude – à environ 5 millions de tonnes d’azote par an20. Archées et bactéries fixatrices d’azote ont donc bel et bien considérablement augmenté la quantité d’azote disponible pour la biosphère !

Avec ces nouvelles informations, il est temps de commencer à progressivement synthétiser ce que l’on sait des différents flux de fixation de l’azote dans un beau schéma !

Les flèches indiquent les transferts d’azote depuis l’atmosphère – où il est présent sous forme de \( \ce{N2} \) – vers les écosystèmes terrestres. L’épaisseur des flèches traduit la taille des flux de fixation de l’azote, dont les estimations sont indiquées en millions de tonnes d’azote \( \ce{N} \) par an. L’incertitude est indiquée entre parenthèses. Les pictogrammes sur chaque flèche illustrent le processus de fixation à l’œuvre. Habituez-vous à ce schéma, nous le compléterons tout au long de l’article ! (C’est pour cela qu’il vous semble peut-être un peu vide et étonnamment asymétrique à ce stade.)

Si les archées et bactéries capables de fixer l’azote le font toutes en utilisant l’une ou l’autre version de cette fameuse enzyme qu’est la nitrogénase, on peut quand même les classer en deux catégories :

  • les fixatrices libres (ou non-symbiotiques), et
  • les fixatrices symbiotiques.

Allez, il est temps de plonger dans les sols pour aller voir tout cela de plus près !

Les fixatrices libres (ou non-symbiotiques)

Les archées et bactéries fixatrices libres sont capables de transformer le diazote atmosphérique \( \ce{N2} \) en ammoniac \( \ce{NH3} \) sans l’aide de personne. Elles se débrouillent donc seules pour trouver l’énergie nécessaire à cette coûteuse opération dans leur environnement. Coûteuse car, rappelez-vous, le couple formé par les deux atomes d’azote du diazote est très stable : difficile donc de les séparer ! Pour ce faire, les fixatrices libres se nourrissent des matières organiques mortes des sols ou des sécrétions racinaires des végétaux à proximité. C’est par exemple le cas de certaines bactéries des genres Azotobacter et Azospirillum21. En Europe et sous climat tempéré, les bactéries fixatrices libres – majoritaires par rapport aux archées – peuvent fixer entre 1 et 30 kg d’azote \( \ce{N} \) par hectare et par an22.

Et dans les sols agricoles ?

Même dans des sols agricoles conventionnels, ce chiffre pourrait atteindre 5 à 20 kg d’azote \( \ce{N} \) par hectare et par an23. Ces sols sont pourtant en général peu propices à ces bactéries fixatrices libres, pour au moins deux raisons24 :

  • leur teneur souvent assez faible en matières organiques mortes limite la quantité de nourriture et d’énergie disponible pour les bactéries, et
  • l’apport de fertilisants azotés inhibe l’activité fixatrice de ces bactéries. En effet, pourquoi dépenser de l’énergie dans la coûteuse conversion de l’azote atmosphérique \( \ce{N2} \) en azote assimilable, si l’azote assimilable est déjà abondant dans l’environnement ? Autant directement se servir dans le sol !

Néanmoins, 5 à 20 kg d’azote par hectare et par an – et avec une potentielle marge d’amélioration en jouant sur les deux points ci-dessus25 – c’est non-négligeable ! (Pour rappel, il faut entre 160 et 200 kg d’azote pour fertiliser un hectare de céréales.)

Certaines fixatrices libres sont encore plus indépendantes. Non contentes de fixer leur propre azote, elles sont aussi capables de réaliser la photosynthèse26 ! Ça, c’est de la sérieuse autonomie ! C’est notamment le cas de certaines cyanobactéries, qui peuvent fixer entre 20 et 30 kg d’azote par hectare et par an dans les rizières27. Cette autonomie en fait aussi des organismes pionniers de premier choix.

À échelle globale, la proportion d’azote fixée biologiquement chaque année par les fixatrices libres fait débat. Une méta-analyse (c’est-à-dire une étude qui ré-analyse les donnée d’autres études) datant de 2020 estime que les fixatrices libres seraient responsables d’un gros tiers de la fixation biologique d’azote dans les écosystèmes terrestres naturels28, soit environ 21 millions de tonnes d’azote par an sur les 58 millions29.

Les 58 millions de tonnes d’azote \( \ce{N} \) fixées chaque année dans les écosystèmes terrestres naturels se répartissent à peu près en 1/3 pour la fixation libre et 2/3 pour la fixation symbiotique.

Parlons maintenant des deux tiers restant : la fixation symbiotique !

Les fixatrices symbiotiques

Il y a environ 100 millions d’années30, une nouvelle innovation biologique a permis à certaines bactéries de trouver une autre source d’énergie pour alimenter la coûteuse conversion du diazote atmosphérique \( \ce{N2} \) en ammoniac \( \ce{NH3} \). Comment ? En formant une association étroite – une symbiose – avec les racines de certains végétaux. Le deal est simple : les végétaux fournissent du carbone – et donc de l’énergie – aux bactéries fixatrices. En échange, celles-ci fournissent de l’azote assimilable aux végétaux pour construire leurs protéines, leurs acides nucléiques et leur chlorophylle (entre autres choses).

À la suite d’un dialogue chimique légèrement plus complexe que celui présenté ci-dessus, les racines de la plante-hôte et ses bactéries fixatrices spécifiques vont pouvoir initier leur collaboration : de l’azote assimilable par la plante contre du carbone pour les bactéries fixatrices.

Crédits : Nefronus, CC BY-SA 4.0, et Ninjatacoshell, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

La plus connue de ces symbioses est celle existant entre les bactéries du genre Rhizobium31 et les plantes de la famille botanique des Fabacées, que vous connaissez peut-être mieux sous son ancienne appellation de Légumineuses. Il s’agit de la famille botanique de nombreuses espèces cultivées pour notre alimentation (pois, haricot, fève, lentilles, pois chiches, soja, etc.) et pour celle du bétail (trèfle, luzerne, féverole, vesce, soja, etc.). Cette famille compte aussi des espèces d’arbres comme le robinier faux-acacia, ou d’arbrisseaux comme le genêt à balais. On y trouve encore de nombreuses autres espèces sauvages. Bref, je ne vais pas toutes les énumérer. La dernière édition de la “flore bleue” – référence ultime de botanique en Belgique – liste une grosse centaine d’espèces rien que chez nous32 !

Et figurez-vous que cette symbiose est visible à l’œil nu ! (Les initié·es l’auront d’ailleurs déjà repérée sur le système racinaire de la figure précédente.) Pour l’observer plus en détail, il suffit de délicatement arracher une plante de la famille des Fabacées et d’observer ses racines. Afin de ne pas interrompre votre lecture, j’ai sacrifié pour vous – à des fins pédagogiques – une pauvre vesce qui poussait tranquillement dans mon potager.

Ces petites protubérances blanches attachées aux racines sont des nodules (ou nodosités). C’est là qu’habitent les bactéries fixatrices d’azote. Elles y trouvent un environnement favorable à leur activité de fixation d’azote et aux échanges de carbone et d’azote avec leur associée végétale. En particulier, le nodule protège la nitrogénase – l’enzyme responsable de la fixation de l’azote – de l’oxygène auquel elle est particulièrement sensible33.

Et en terme de quantité d’azote fixée, les Fabacées, ça envoie ! 20 à 140 kg par hectare et par an pour le pois, 60 à 170 kg pour le haricot, 80 à 270 kg pour les trèfles et jusqu’à 350 kg pour la luzerne34. S’associer vaut donc le coup !

Il n’y a pas que les Fabacées !

Si les Fabacées occupent souvent le devant de la scène pour leur importance agricole, elles ne sont pas les seules capables d’accueillir des bactéries fixatrices dans de beaux nodules ! On dénombre par exemple quelques 220 espèces réparties dans 8 familles botaniques capables de former une association similaire, cette fois avec des bactéries filamenteuses du genre Frankia. Dans nos régions tempérées, on peut par exemple citer l’aulne, qui s’associe avec une bactérie du nom de Frankia alni et peut fixer entre 25 et 150 kg d’azote \( \ce{N} \) par hectare et par an.

D’autres associations symbiotiques fixatrices d’azote sans nodules existent aussi. C’est par exemple le cas de celle entre les fougères aquatiques du genre Azola et la cyanobactérie Anabaena azollae. Cette association est mise à profit dans les rizières, où elle peut fixer entre 150 et 300 kg d’azote \( \ce{N} \) par hectare et par an.

Dans les deux cas, on retrouve des quantités similaires à celles que sont capables de fixer les espèces de la famille des Fabacées35 !

Jusqu’ici, nous n’avons parlé que des quantités d’azote fixées biologiquement dans les écosystèmes terrestres naturels. Mais, comme mentionné, la famille des Fabacées comporte de très nombreuses espèces cultivées par l’humain pour son alimentation, celle du bétail ou comme “engrais vert” pour apporter de l’azote aux sols cultivés. À l’azote fixé biologiquement dans les écosystèmes naturels, il faut donc ajouter l’azote fixé biologiquement dans les écosystèmes agricoles : environ 60 millions de tonnes d’azote \( \ce{N} \) par an36, soit à peu près autant que les 58 millions fixés annuellement dans les écosystèmes naturels !

Qu’est-ce qu’un engrais vert ?

Un engrais vert est une culture destinée à couvrir le sol entre deux cultures et contenant au moins une espèce de la famille des Fabacées. Avant le semis de la culture suivante, l’engrais vert sera détruit mécaniquement (labour, broyage, roulage) ou chimiquement (herbicide). En plus de l’apport d’azote pour la culture suivante, un engrais vert permet de lutter contre l’érosion, d’apporter des matières organiques mortes aux sols, de limiter les pertes de nutriments causées par les pluies, etc. C’est à tout cela que servait – à très petite échelle – la vesce semée sur une partie de mon potager.

En parlant de vesce, il est l’heure de revenir au maïs rencontré plus haut dans l’article. Ce qui différencie ces deux parcelles, c’est précisément la présence ou non d’un engrais vert de vesce avant la culture de maïs !

À gauche, le maïs a été précédé d’un engrais vert de vesce. Il bénéficie donc de l’azote fixé par la vesce laissée sur place et se décomposant lentement. La vesce est capable de fixée entre 50 et 150 kg d’azote \( \ce{N} \) par hectare et par an. À droite, le maïs n’a pas eu cette chance : il manque donc d’azote, comme le montre son feuillage bien pâle et son retard de croissance.

Crédit : Alandmanson, CC BY 4.0, via Wikimedia Commons

Que ce soit dans un écosystème naturel ou agricole, le processus biologique de fixation de l’azote reste bien sûr le même. Il est néanmoins intéressant de séparer la fixation biologique d’origine naturelle de la fixation biologique d’origine humaine, ou anthropique. Pour ce faire, ajoutons une couleur à notre schéma récapitulatif.

= fixation naturelle      = fixation anthropique
La quantité d'azote fixée biologiquement chaque année par la culture de plantes de la famille des Fabacées (ex-Légumineuses) est aujourd'hui équivalente à la quantité fixée biologiquement dans les écosystèmes naturels.

Si j’écrivais ces lignes au début du xixe siècle – à la main donc –, je pourrais m’arrêter là. La fixation abiotique des éclairs et la fixation biologique seraient les seules sources d’azote assimilable par le monde vivant37. Mais la révolution industrielle est depuis passée par là, et – quel hasard – il reste un peu de place pour deux flèches oranges sur notre schéma. Quittons donc les sols et allons voir ce que fabrique l’espèce humaine à la surface !

Homo industrialis et la fixation d’azote

La combustion d’énergies fossiles

À la surface et depuis la révolution industrielle, l’espèce humaine a brûlé beaucoup d’énergies fossiles. Et il se trouve que, en plus des émissions de \( \ce{CO2} \) bien connues, la combustion d’énergies fossiles dans les moteurs à combustion interne est aussi capable de fixer l’azote. Une partie du \( \ce{N2} \) présent dans l’air ambiant du moteur est transformée en \( \ce{NO_x} \), c’est-à-dire en \( \ce{NO} \) ou \( \ce{NO2} \)38. Cela devrait vous rappeler quelque chose ! C’est en fait le même mécanisme que la fixation provoquée par les éclairs, mais dans le moteur de votre véhicule ou dans ceux des centrales électriques. Les oxydes d’azote ainsi produits subissent ensuite le même sort que ceux produits par la foudre : transformation en divers autres composés azotés, puis dépôt avec ou sans l’aide des précipitations.

Globalement, cela correspond à 30 millions de tonnes d’azote \( \ce{N} \) fixées chaque année39.

= fixation naturelle      = fixation anthropique
La combustion d'énergies fossiles dans les moteurs de votre véhicule ou des centrales électriques fixe l'azote atmosphérique en le transformant en oxydes d'azote \( \ce{NO_x} \). Ces oxydes d'azote se transformeront par la suite en d'autres substances et retomberont au sol avec ou sans l'aide des précipitations.

Si cette fixation d’azote n’est pas intentionnelle – c’est un sous-produit de la combustion d’énergies fossiles –, ce n’est pas le cas du plus gros morceau, que j’ai gardé pour la fin.

La fixation industrielle

Ce gros morceau, vous en avez peut-être déjà entendu parler sous le nom de “procédé Haber-Bosch”. Le principe est le même que pour la fixation biologique : convertir le diazote atmosphérique \( \ce{N2} \) en ammoniac \(\ce{NH3}\)⁠. Sauf qu’ici, cela ne se passe pas dans de petits nodules peuplés de bactéries, mais dans des réacteurs industriels chauffés à 450 °C et sous une pression 300 fois plus élevée que la pression atmosphérique40. Dans ces conditions, on comprend que même le solide couple formé par les deux atomes du diazote puisse être quelque peu déstabilisé ! En passant, cela rend le travail des bactéries fixatrices – qui opèrent elles à température et pression ambiantes – particulièrement impressionnant.

L’ammoniac produit par le procédé Haber-Bosch sert principalement à la fabrication d’engrais azotés pour l’agriculture (à 80 %), dont l’humanité est aujourd’hui très dépendante. À lui seul, ce procédé expliquerait 30 à 50 % de l’augmentation des rendements agricoles observés dans la deuxième moitié du xxe siècle et nourrirait aujourd’hui la moitié de la population mondiale, soit environ 4 milliards de personnes41. Les 20 % restant de l’ammoniac produit sont utilisés par diverses industries42, dont celle des explosifs, pour lesquels le procédé Haber-Bosch est aussi tristement célèbre43.

Une usine de production d’engrais azotés de l’entreprise Yara, à Belle Plaine, au Canada. Inutile d’aller si loin pour en trouver une. Il y en a par exemple une en Belgique, à Tertre, dans le Hainaut. Je n’en ai simplement pas trouvé de photo libre de droit sur internet. D’après l’Agence Internationale de l’Énergie, la production d’ammoniac consomme à elle seule environ 2 % de l’énergie consommée chaque année dans le monde.

Crédit : The Cosmonaut, CC BY-SA 2.5 CA, via Wikimedia Commons

De nos jours, le procédé Haber-Bosch fixe – et de loin – bien plus d’azote que les autres processus discutés jusqu’ici : de l’ordre de 120 millions de tonnes d’azote \( \ce{N} \) chaque année44. C’est autant que toute la fixation biologique, qu’elle soit naturelle (58 millions de tonnes/an) ou anthropique (60 millions de tonnes/an).

Ajoutons cette dernière (grosse) flèche orange à notre schéma récapitulatif.

= fixation naturelle      = fixation anthropique
Avec 120 millions de tonnes d'azote fixées annuellement, la fixation industrielle de l'azote au travers du procédé Haber-Bosch est de loin le flux le plus important.

Avant de conclure, comparons rapidement la taille des flèches bleues (fixation naturelle) et la taille des flèches oranges (fixation anthropique). Ensemble, les flèches bleues représentent un peu plus de 60 millions de tonnes d’azote fixées chaque année. Pour les flèches oranges, ce chiffre grimpe à… 210 millions de tonnes. L’espèce humaine a donc considérablement augmenté la quantité d’azote disponible pour la biosphère.

Pourrait-on manquer d’azote dans l’atmosphère ?

L’atmosphère contient à peu près 4 milliards de millions de tonnes d’azote \( \ce{N} \)45. Au rythme actuel de prélèvement anthropique de 210 millions de tonnes d’azote \( \ce{N} \) par an, il faudrait plus de 19 millions d’années pour vider l’atmosphère de tout son diazote.

Si nous ne sommes donc pas près de vider l’atmosphère, l’augmentation de la quantité d’azote disponible pour la biosphère n’est pas pour autant sans conséquence, car l’excès nuit en tout46 : pollution des eaux par le nitrate \( \ce{NO3-} \), pollution de l’air par émissions de \( \ce{NO_x} \) et d’ammoniac \( \ce{NH3} \), perte de biodiversité par eutrophisation, émission de protoxyde d’azote \( \ce{N2O} \) (un puissant gaz à effet de serre), etc. D’ailleurs, l’une des neufs limites planétaires à ne pas franchir pour ne pas compromettre les conditions d’existence favorables que nous connaiss(i)ons sur Terre concerne justement la perturbation du cycle de l’azote. Celle-ci est considérée comme franchie, et de loin47. Mais tout cela, c’est une autre histoire, pour un autre article.

En attendant, notre schéma est complet : passons à la conclusion !

Conclusion

Nous avons donc fait le tour des processus capables de transformer le diazote atmosphérique \( \ce{N2} \) – inutilisable par le monde vivant tel quel – en azote assimilable par la biosphère. Autrement dit, nous avons fait le tour des processus de fixation de l’azote.

Nous avons commencé par un processus abiotique dont le monde vivant devait se contenter lors des premiers temps de la vie sur Terre : la foudre. Cette première source d’azote assimilable par la biosphère n’était cependant pas suffisante pour le monde vivant alors en pleine expansion. Les archées d’abord – et les bactéries ensuite – se sont alors mises à fixer l’azote atmosphérique elles-mêmes. La fixation biologique de l’azote était née. Bien plus tard, l’association symbiotique entre certains végétaux et certaines bactéries fixatrices a permis d’encore augmenter les quantités d’azote fixées chaque année. L’espèce humaine en tire d’ailleurs parti en cultivant ces végétaux pour son alimentation, celle du bétail, ou pour enrichir en azote les sols cultivés.

À ces processus de fixation déjà à l’œuvre avant la révolution industrielle viennent s’ajouter deux autres processus de fixation d’origine humaine : la combustion d’énergies fossiles dans les moteurs à combustion interne, et – surtout – la fixation industrielle via le procédé Haber-Bosch, principalement pour la fabrication d’engrais.

Ainsi, chacun des 77 000 000 000 000 000 000 000 000 d’atomes d’azote de votre corps est un jour ou l’autre passé par l’un de ces processus. Certains ont été fixés par la foudre. D’autres sont passés par l’enzyme nitrogénase d’une bactérie. Si cette bactérie était une fixatrice libre, peut-être a-t-elle été dévorée par un nématode qui libéra par la suite l’azote excédentaire dans le sol48. Cette azote aura ensuite peut-être été absorbé par les racines d’une plante, qui elle-même aura été broutée par un herbivore passant par là. L’azote remonte alors lentement la pyramide décrite en introduction pour peut-être arriver jusqu’à vous. Cette bactérie fixatrice se trouvait peut-être aussi à l’abri, confortablement logée dans le nodule d’un plant de haricot, d’un trèfle poussant dans une prairie pâturée par des bovins, ou encore d’une vesce servant d’engrais vert avant une culture de maïs.

Enfin, moins “bucolique” peut-être, une partie des atomes d’azote de votre corps provient de la formation de \( \ce{NO_x} \) dans les moteurs à combustion interne et des dépôts d’azote qui ont suivi. Mais surtout, car c’est peut-être le plus probable vu les quantités impliquées, une partie de vos atomes d’azote est passée par une usine de production d’ammoniac, comme celle vue plus haut. Les engrais azotés ainsi fabriqués auront ensuite été épandus sur des champs et en partie absorbés par des cultures destinées à votre alimentation.

Une fois cet azote entré dans la biosphère, il pourra bien sûr être recyclé dans les sols par la décomposition des matières organiques mortes. Une partie de vos atomes d’azote a donc peut-être été fixée il y a bien longtemps. Peut-être est-elle restée piégée dans les matières organiques mortes des sols pendant des siècles, ou peut-être est-elle passée d’organismes en organismes au gré de prédations, de sécrétions, de morts et de décompositions, de ré-absorptions, etc. Mais avant d’être recyclé, comme mentionné en introduction, il fallait bien que l’azote entre dans la boucle ; il fallait qu’il soit fixé.

Que retenir de tout cela ?

De manière un peu plus synthétique, voici le désormais traditionnel petit encadré bleu contenant les points clés de l’article.

Que retenir de tout cela ?

  • L’azote \( \ce{N} \) est essentiel à la vie. On en trouve dans les deux familles de molécules les plus importantes pour le monde vivant : protéines et acides nucléiques (ADN et ARN) ;
  • L’azote que l’on trouve dans le monde vivant provient de l’atmosphère, où il est très abondant sous forme de diazote \( \ce{N2} \) ;
  • Problème : ce diazote atmosphérique n’est pas assimilable par le monde vivant, qui a besoin de formes d’azote où les deux atomes d’azote sont séparés. Or, il est très difficile de séparer les deux \( \ce{N} \) de \( \ce{N2} \) car ceux-ci sont triplement liés ;
  • Certains processus sont néanmoins capables de le faire. On dit qu’ils fixent l’azote. Ces processus et la quantité d’azote qu’ils fixent annuellement sont repris dans le schéma ci-dessous.

= fixation naturelle      = fixation anthropique
Les flèches indiquent les transferts d'azote depuis l'atmosphère -- où il est présent sous forme de \( \ce{N2} \) -- vers les écosystèmes terrestres. L'épaisseur des flèches traduit la taille des flux de fixation de l'azote, dont les estimations sont indiquées en millions de tonnes d'azote \( \ce{N} \) par an. L'incertitude est indiquée entre parenthèses. Les pictogrammes sur chaque flèche illustrent le processus de fixation à l’œuvre.

Les quantités indiquées proviennent de Fowler et al. La part de la fixation biologique naturelle due aux bactéries fixatrices libres provient de Davies‐Barnard et al.

  • Via l’agriculture et l’activité industrielle, l’espèce humaine a considérablement augmenté la quantité d’azote fixée chaque année, perturbant ainsi le cycle de l’azote.

Il n’est pas très cyclique ce cycle, si ?

Dans cet article, nous n’avons abordé qu’une facette du cycle de l’azote. D’ailleurs, on voit bien que le schéma ci-dessus n’est pas très… cyclique. Nous n’avons évoqué qu’une partie du sort de tout cet azote quittant l’atmosphère pour les écosystèmes terrestres. Bien sûr, une partie se retrouve dans la biosphère, et notamment dans nos corps ; c’était le point de départ de cet article ! Mais qu’en est-il du reste ? À titre d’exemple, seulement 17 % de l’azote fixé chaque année par le procédé Haber-Bosch et utilisé comme engrais en agriculture est finalement consommé par l’humain sous forme de végétaux, de viande ou de produits laitiers49. Où sont donc passés les 83 % restant ? Et par ailleurs, si de l’azote quitte l’atmosphère comme on l’a vu dans cet article, n’en faut-il pas nécessairement qui y retourne pour faire un cycle digne de ce nom ? Une partie des réponses à ces questions se trouve en fait un peu plus haut, dans le paragraphe qui évoque les conséquences de la perturbation du cycle de l’azote par l’espèce humaine : les 83 % restant ont été perdus de diverses manières dans l’environnement, où ils causent divers problèmes.

Mais pour aller plus loin dans cette direction, je crains qu’il faille attendre un autre article !

= fixation naturelle      = fixation anthropique
Il manque quelques flèches à notre schéma pour en faire un cycle digne de ce nom...

P.-S. : pour toute question, suggestion, remarque ou retour, n’hésitez pas à me contacter en cliquant ici. C’est toujours le bienvenu !

Remerciements

Comme d’habitude, merci à mon petit panel de relecteur.rices et à Yannick Agnan, professeur de sciences du sol à l’UCLouvain, pour leur relecture attentive.

Merci aussi à mes supporter.rices sur la plateforme Tipeee ♥ !

Références et notes


  1. Voir Composition of the human body, sur Wikipédia. Revenir en haut ↑

  2. Voir Nitrogène sur le Wiktionnaire. Revenir en haut ↑

  3. La place de l’humain sur cette pyramide est en réalité plus nuancée que cela. Si nous sommes parfois considérés comme des “super-prédateurs”, notre régime alimentaire nous placerait en fait au même niveau que… le cochon ou l’anchois. (Voir Bonhommeau S. et al., Eating up the world’s food web and the human trophic level et Roopnarine PD. Humans are apex predators, Proceedings of National Academy of Sciences (USA), 2013 et 2014.) Revenir en haut ↑

  4. Une protéine est donc un polymère d’acides aminés. Nous avions déjà parler de quelques polymères dans “La longue descente des matières organiques mortes”. En moyenne, les protéines des cellules humaines comptent de l’ordre de 400 acides aminés (Cell Biology by the Numbers). Revenir en haut ↑

  5. Raven et al., Biologie, De Boeck Supérieur, 2023. Revenir en haut ↑

  6. Ron Milo et Rob Phillips, How many proteins are in a cell?, Cell Biology by the Numbers. Revenir en haut ↑

  7. Donald E. Canfield et al., The Evolution and Future of Earth’s Nitrogen Cycle, Science vol. 330, 2010 :

    “Nitrogen, the fifth most abundant element in our solar system, is essential for the synthesis of nucleic acids and proteins the two most important polymers of life.”

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  8. Détails du petit calcul pour arriver à ce volume :

    • 12 respirations par minute pour un adulte au repos ;
    • 0,5 L d’air par respiration ;
    • disons 10 minutes de lecture jusque là : on arrive à 60 L d’air inspirés au total ;
    • l’air est constitué à 78 % (en volume) de diazote : on arrive à 46,8 L de diazote.
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  9. Weil & Brady, op. cit., p. 604. Revenir en haut ↑

  10. Clémentine Antier, Timothée Petel et Philippe Baret, État des lieux et scénarios à horizon 2050 de la filière des céréales en Région wallonne, 2020, p. 27. Revenir en haut ↑

  11. État de l’agriculture Wallonne : produits, charges et marge brute du froment d’hiver, de l’escourgeon et de l’épeautre, 2024. Revenir en haut ↑

  12. Un corps humain adulte moyen de 70 kg compte environ \( 7,7 \times 10^{27} \) atomes, dont 1,1 % d’atomes d’azote. Voir Composition of the human body sur Wikipédia. Revenir en haut ↑

  13. Schumann et Huntrieser, The global lightning-induced nitrogen oxides sources, Atmospheric Chemistry and Physics, 2007, p. 1 :

    “Thunderstorm lightning has been considered a major source of nitrogen oxides (\( \ce{NO_x} \), i.e. \( \ce{NO} \) (nitric oxide) and \( \ce{NO2} \) (nitrogen dioxide)) since von Liebig (1827) proposed it as a natural mechanism for the fixation of atmospheric nitrogen.”

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  14. On parle de dépôt par voie humide, ou par voie sèche. Revenir en haut ↑

  15. Claude Faurie et al., Écologie : approche scientifique et pratique, éditions Lavoisier, 2012, p. 240 :

    “Le proverbe ne dit-il pas que “neige de février, vaut du fumier” ! Cela se justifie par le fait que les flocons en tombant lentement emprisonnent de l’azote qu’ils incorporent au sol.”

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  16. Florence Mus et al., Geobiological feedbacks, oxygen, and the evolution of nitrogenase, Free Radical Biology and Medicine, 2019.

    “Several abiotic processes can overcome the activation barrier associated with the \( \ce{N2} \) triple bond (…). The combined fixed N input of these processes, however, is thought to have been insufficient to meet the fixed N demand of an increasingly productive biosphere, thereby providing the impetus to evolve and refine biological mechanisms to catalyze the reduction of \( \ce{N2} \).”

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  17. Ibid. :

    “Isotopic evidence suggests that nitrogenase activity existed at 3.2 Ga (…)”

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  18. Ibid. :

    “Phylogenetic data indicates that biological nitrogen fixation emerged in an anaerobic, thermophilic ancestor of hydrogenotrophic methanogens and later diversified via lateral gene transfer into anaerobic bacteria, and eventually aerobic bacteria including Cyanobacteria.”

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  19. David Fowler et al., The global nitrogen cycle in the twenty-first century, Philosophical Transactions of the Royal Society, 2013. Revenir en haut ↑

  20. Ibid. Revenir en haut ↑

  21. Weil & Brady, op. cit., p. 628 :

    “Several different groups of bacteria and cyanobacteria are able to fix nitrogen nonsymbiotically. In upland mineral soils, the major fixation is brought about by species of several genera of heterotrophic bacteria, Azotobacter an Azospirillum (in temperate zones) (…). (…). These organisms obtain their carbon either from root exudates in the rizosphere or by saprophytic decomposition of soil organic matter, and they operate best where soil nitrogen is limited.”

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  22. Blume et al., Scheffer/Schachtschabel Soil Science, Springer, 2015, p. 434 :

    “Under central European conditions, \( \ce{N2} \) fixation by autonomous heterotrophic bacteria amounts to 1-30 kg N/ha/a.”

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  23. Weil & Brady, op. cit., p. 628 :

    “Because of limited carbon supplies, in conventional agricultural systems they probably fix only 5-20 kg N/ha/yr.”

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  24. Blume et al., op. cit., p. 434 :

    “(…) It is partly limited by the supply of readily decomposable soil organic matter. N fertilization also reduces \( \ce{N2} \) fixation.”

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  25. Weil & Brady, op. cit., p. 628 :

    “(…) However, with proper organic matter management, it is thought that the rates may be considerably higher.”

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  26. Ibid. :

    “In the presence of light, certain photosynthetic bacteria and cyanobacteria are able to fix carbon dioxide and nitrogen simultaneously.”

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  27. Ibid., pp. 628-629 :

    “The contribution of the photosynthetic bacteria is uncertain, but that of cyanobacteria is thought to be of some significance, especially in wetlands (including in rice paddies). In some cases, cyanobacteria contribute a major part of the nitrogen needs of rice, but nonsymbiotic species rarely fix more than 20-30 kg N/ha/yr.”

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  28. T. Davies‐Barnard et P. Friedlingstein, The Global Distribution of Biological Nitrogen Fixation in Terrestrial Natural Ecosystems, Global Biogeochemical Cycles, 2020,  :

    “The global values indicate a significant role for free living, as opposed to symbiotic, biological nitrogen fixation (BNF), accounting for at least a third of all BNF.”

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  29. Cette méta-analyse (Ibid.) ré-estime aussi le flux de fixation biologique d’azote dans les écosystèmes terrestres naturels à 88 millions de tonnes d’azote \( \ce{N} \) par an, toujours avec une large gamme de valeurs possibles (52 à 130 millions). Dans cet article, je fais néanmoins le choix d’utiliser la valeur donnée par Fowler et al. (58 millions de tonnes, op. cit.) par souci de cohérence avec les autres valeurs utilisées. Revenir en haut ↑

  30. Werner, G., Cornwell, W., Sprent, J. et al. A single evolutionary innovation drives the deep evolution of symbiotic \( \ce{N2} \)-fixation in angiosperms. Nature Communications, 2014. Revenir en haut ↑

  31. Et Bradyrhizobium, Mesorhizobium, Azorhizobium, Ensifer, etc. (Weil et Brady, op. cit., p. 623) Revenir en haut ↑

  32. Filip Verloove et. al., Nouvelle Flore de la Belgique, du Grand-Duché de Luxembourg, du Nord de la France et des Régions voisines (Ptéridophytes et Spermatophytes), 7e édition, Une édition du Jardin botanique de Meise (Meise, Belgique), 2024. Revenir en haut ↑

  33. Gobat et al., Le sol vivant : base de pédologie - biologie des sols, Presses Polytechniques et Universitaires romanes, 2013, pp. 695 et 700. Revenir en haut ↑

  34. Blume et al., op. cit., p. 434. Revenir en haut ↑

  35. Weil et Brady, op. cit., pp. 625-626. Revenir en haut ↑

  36. David Fowler et al., op. cit., p. 3. Revenir en haut ↑

  37. Fowler et al., op. cit., p. 2 :

    “In the absence of human influences, BNF and the production of \( \ce{NO_x} \) by lightning would be the only sources of new \( \ce{N_r} \) (i.e., reactive nitrogen) in the environment.”

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  38. Ibid., p. 2 :

    “Atmospheric nitrogen is also fixed unintentionally through human activities, especially during the combustion of fossil fuels by internal combustion engines, and industrial activity, including electricity production. (…) The compounds generated are mainly \( \ce{NO} \) and \( \ce{NO2} \), which arise from oxidation of atmospheric \( \ce{N2} \)”

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  39. Ibid., p. 4 :

    “Estimates of global \( \ce{NO_x} \) production and emissions (…) show values for the year 2000 of approximately 40 Tg N/yr of which 30 Tg N/yr is new \( \ce{N_r} \), the remainder being \( \ce{N_r} \) in fuel and in biomass.”

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  40. Gobat et al., op. cit., p. 583. Revenir en haut ↑

  41. Erisman, J., Sutton, M., Galloway, J. et al. How a century of ammonia synthesis changed the world, Nature Geosciences, 2008. Revenir en haut ↑

  42. Fowler et al., op. cit., p. 4 :

    “The process was developed during the early years of the twentieth century and by the first decade of the twenty-first century is producing 120 Tg N as \( \ce{NH3} \) annually, of which 80 per cent is used as agricultural fertilizer and 20 per cent as feedstock for industrial processes.”

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  43. Erisman et al., op. cit., p. 2 :

    “Since then, reactive nitrogen produced by the Haber–Bosch process has become the central foundation of the world’s ammunition supplies. As such, its use can be directly linked to 100–150 million deaths in armed conflicts throughout the twentieth century.”

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  44. Fowler et al., op. cit. Revenir en haut ↑

  45. Weil et Brady, op. cit., p. 603. Revenir en haut ↑

  46. Sutton, M., Oenema, O., Erisman, J. et al. Too much of a good thing. Nature, 2011. Revenir en haut ↑

  47. Katherine Richardson et al., Earth beyond six of nine planetary boundaries, Sciences Advances, 2023 :

    “The planetary boundary for N is the application rate of intentionally fixed N to the agricultural system of 62 Tg of N/year. Currently, the application of industrially fixed N fertilizer is 112 Tg of N/year. Quantification of anthropogenic biological N fixation in connection with agriculture is highly uncertain, but the most recent estimates are in the range of ~30 to 70 Tg of N/year. According to Food and Agriculture Organization, the total introduction of anthropogenically fixed N applied to the agricultural system is ~190 Tg/year so this boundary is also globally transgressed.”

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  48. Weil et Brady, op. cit., p. 505 :

    “Since bacterial cells contain more nitrogen than the nematode can use, microbial-feeding nematodes excrete considerable soluble nitrogen. This nematode activity accounts for 30–40 % of the plant available nitrogen release in some ecosystems.”

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  49. Erisman et al., op. cit., p. 2 :

    “In 2005, approximately 100 Tg N from the Haber–Bosch process was used in global agriculture, whereas only 17 Tg N was consumed by humans in crop, dairy and meat products.”

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